Avant propos
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Il y a bien peu d'hommes, surtout parmi les habitants de la campagne qui ne tiennent fortement aux lieux qui les ont vus naître. Il semble
que la Divinité ait attaché à l'antique et modeste clocher un aimant tout puissant qui les retient ou qui les ramène sans cesse vers ce point.
On ne peut guère se défendre d'un sentiment triste et vraiment pénible. La plupart d'entre eux ne réfléchissent presque jamais, tous étant
occupé uniquement à améliorer un peu leur existence matérielle, ils ne savent pourquoi ils trouvent tant de charme jusque dans la chaumière
où le plus souvent ils n'ont mangé qu'un pain noir, jusque sur une terre quelquefois aride et ingrate qu'ils ont arrosée de leurs sueurs,
qu'ils n'ont rendue féconde qu'à force de travaux et de fatigue. Ils sont là, parce qu'ils y sont, ils vivent, où plutôt, ils y végètent
parce qu'ils y sont nés ; ils y meurent parce qu'ils y ont vécu. Semblables en quelques sortes à la plante qui croît là où le hasard l'a fait
germer, ou au chêne de la forêt qui s'élève à l'endroit où l'oiseau a laissé tomber un gland.
Avec un peu d'attention et surtout avec le sentiment religieux de leur part, il serait facile d'expliquer cet attrait dont bien peu de
personnes sont exemptes. Là, en effet, ils trouvent cette maison pauvre, il est vrai, mais qui pourtant leur a servi de premier asile à leur
entrée dans la vie, et cette vieille Eglise qui a vu passer tant de générations et où l'on apprend à être homme et chrétien, et cette
modeste école où on a puisé l'instruction nécessaire à chaque état, et ces places témoins des jeux du premier âge.
Là, se trouve encore le lieu de la sépulture des ancêtres où dorment, en attendant une vie nouvelle, les générations qui nous ont précédés,
ce cimetière de tout temps et partout si respecté où nous avons la certitude de mêler nos cendres à celles d'un père, d'une mère, d'un
enfant ; ailleurs tout est muet, rien ne parle au coeur parce que tout y est étranger. Nous admirons sans doute quelques instants les
monuments que le génie ou la piété des peuples ont élevés ; mais comme de tristes exilés nous détournons bientôt nos regards, et nous
tournons nos pas vers un objet plus cher à tant de titre.
C'est un malheur sans doute que presque toujours la génération présente s'occupe bien peu de celle qui a passé avant elle, et qu'elle n'a
conservé le souvenir, au lieu de chercher des exemples de vertu et d'instruction chez les peuples étrangers ou chez les nations anciennes, il
ne soit jamais venu à l'idée de personne de recueillir ceux qui nous toucheraient de plus près et feraient sur nous une impression assurément
plus vite et plus durable.
Cette réflexion seule suffit pour faire comprendre qu'il n'est pas question ici, qu'il ne peut être aucunement question de donner une histoire
complète et suivie de Barbonne. Le peu de renseignements que l'on trouve sur un pays qui n'a jamais joué aucun rôle du moins tant soit peu
important dans les événements et dans les révolutions qui ont si souvent changé la face et l'état de nos provinces ; le peut d'égard que l'on
a toujours témoigné pour ce qu'on appelait avec dédain les manants, le peu d'instruction ou plutôt le manque total d'instruction que l'on
rencontrait et que l'on ne rencontre même encore que trop souvent dans le plupart des habitants de nos campagnes, tout cela est cause que
beaucoup de bourgs, de villages, de hameaux peut-être dont le souvenir pourrait paraître intéressant, n'ont laissé aucune trace dans le
cours des siècles passés.
Tel est le monde : on parle avec admiration, avec emphase de ces hommes qui ont versé le sang des hommes ou pour satisfaire leur vanité et
leur ambition, ou pour s'emparer de quelques lambeaux de terre qu'ils laissaient en friche, après en avoir exterminé les paisibles habitants
et on ne dit pas un mot même dans leur pays de ces pauvres et honnêtes paysans dont le travail seul du jour et de la nuit nourrit toutes les
classes de la société dont le nombre fait la force des états.
La vertu, l'habilité, les talents n'auraient-ils donc jamais été le partage que ces hommes dont l'histoire a conservé le nom, mais aussi dont
elle n'a eu le plus souvent à enregistrer que les vices et les crimes ?
Il y eut un temps, et ce temps n'est pas encore éloigné de nous où voulant faire de la France une rase campagne, le vandalisme républicain ne
pouvait souffrir les monuments sacrés qu'avait élevés la piété de nos pères et qui étaient pourtant les seuls en quelque sorte qui fissent
honneur au plus beau pays de l'univers. Les églises s'écroulèrent de toute part sous le marteau dévastateur ; quelques jours encore et on
aurait plus vu dans les campagnes que des toits de chaumes comme on aurait plus trouvé dans les cités que des hôtels de ville et de salles
de spectacle, des hôpitaux et des prisons. Un homme tomba et ce qui restait sur le sol français des asiles destinés à la prière put rester
debout.
Jalouse de maintenir précisément ce qui a échappé aux orages révolutionnaires l'administration actuelle étend ses soins jusque sur les
moindres hameaux et comprend que l'un de ses plus beaux titres à la reconnaissance publique est d unir le siècle présent aux siècles qui ont
précédé, en conservant tout à la fois à la religion et aux beaux-arts des édifices dont la ruine serait une perte irréparable pour notre
France. Elle nomme et encourage partout les sociétés archéologiques, elle se fait donner de toutes parts des renseignements sur l'origine de
nos églises, sur les changements qu'elles ont éprouvés, sur leur état actuel afin d'être plus à même d'empêcher les dégradations que l'ignorance
pourrait leur faire subir sous prétexte d'embellissement et de décoration.
Tels sont les motifs qui ont donné l'idée d'entreprendre cette simple notice ou plutôt cette statistique tant de Barbonne que de son église
si digne de fixer l'attention par sa grandeur et sa beauté. Tous ces renseignements qui y sont consignés viennent ou de l'examen attentif et
de la connaissance des lieux, ou du témoignage des personnes qui ont vu une partie des faits et des changements récents, ou des pièces
authentiques qui existent ; ou enfin des notes qu'on laissées plusieurs curés de Barbonne. M. Ragon qui fut à la tête de cette paroisse
depuis l'an 1611 jusqu'en 1645 a surtout un droit particulier à la reconnaissance publique pour le soin qu'il a eu de conserver par écrit le
souvenir de plusieurs faits importants arrivés avant lui et d'écrire jour par jour à la suite des actes religieux tout ce qui survenait de
particulier ou de remarquable.
Ces registres, qui commencent à l'année 1584, sont déposés à la mairie de Barbonne et dans un état précieux de conservation.